L’obligation de télétravailler ou la création d’une obligation fantôme
A travers le nouveau protocole sanitaire publié le 30 décembre 2021 mis à jour le 3 janvier 2022 et un amendement du 31 décembre 2021, le gouvernement a souhaité communiquer sur le caractère obligatoire du recours au télétravail…avec son pendant associé : la sanction. La réalité juridique invite cependant à une réponse plus nuancée.
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L’absence d’obligation générale et absolue de mettre en place le télétravail
En droit civil, l’obligation est le lien de droit par lequel une ou plusieurs personnes déterminées sont tenues, en vertu d’un contrat, d’un quasi-contrat, d’un délit, d’un quasi-délit ou de la loi, envers une ou plusieurs autres, également déterminées, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.
Transposée à l’obligation de de mise en place du travail à distance en période covid, cela signifie que seule une norme visant spécifiquement la mise en place impérative du télétravail aurait dû être consacrée.
Or pour l’heure la lecture du protocole sanitaire ne permet d’identifier aucune obligation à la charge du dirigeant de mettre en place cette modalité d’emploi…bien au contraire : il s’agit d’une faculté laissée à la libre appréciation de l’employeur dans la mesure où ledit protocole indique que la pratique du travail à distance est conditionnée.
Le protocole sanitaire mis à jour le 3 janvier 2022 prévoit que les employeurs fixent à compter du 3 janvier 2022 et pour une durée de trois semaines, un nombre minimal de trois jours de télétravail par semaine, pour les postes qui le permettent. Lorsque l’organisation du travail et la situation des salariés le permettent, ce nombre peut être porté à quatre jours par semaine.
Loin de consacrer une obligation générale et absolue de mettre en place le télétravail, le protocole sanitaire indique que la pratique du travail à distance sera nécessairement conditionnée selon les situations :
- Au fait de bénéficier d’un poste télétravaillable
- Au fait que la situation individuelle des salariés permette l’exercice de cette modalité d’emploi
- Au fait que l’organisation de travail permette l’exercice de cette modalité d’emploi
Ces trois critères ne sont pas définis par le protocole sanitaire, ni par aucun autre texte. La détermination du caractère « télétravaillable » ou non d’un poste de travail est donc laissée à la libre appréciation de l’employeur. Ce dernier dispose ainsi d’une grande latitude dans la détermination des postes télétravaillables.
Les critères précités permettent finalement d’affirmer qu’il n’existe aucune obligation générale et absolue de mettre en place trois à quatre jours de télétravail pour l’ensemble des salariés.
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La valeur non contraignante des protocoles sanitaires
En premier lieu il convient de rappeler le caractère non contraignant des protocoles sanitaires.
En effet le Conseil d’Etat a rappelé le 19 octobre 2020 que les protocoles n’avaient qu’une seule valeur de recommandation.
Mieux encore, s’agissant spécifiquement du télétravail, le Conseil d’Etat a jugé le 17 novembre 2020 (CE n°446797, 17 décembre 2020 PLastalliance C/ la Ministre du Travail) que :
« Si certains termes du protocole sont formulés en termes impératifs, en particulier en ce qu’il est indiqué que ˝ Dans les circonstances exceptionnelles actuelles, liées à la menace de l’épidémie, le télétravail doit être la règle pour l’ensemble des salariés qui le permettent. Dans ce cadre, le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100% pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance˵, le protocole a pour seul objet d’accompagner les employeurs dans leurs obligations d’assurer la sécurité et la santé de leurs salariés au vu des connaissances scientifiques sur les modes de transmission du SARS-Cov-2 et n’a pas vocation de se substituer à l’employeur dans l’évaluation des risques et la mise en place des mesures de prévention adéquate dans l’entreprise »
En second lieu, si le télétravail devait être imposé aux employeurs au titre de la prévention des risques en matière de santé-sécurité au travail, alors l’article L. 4111-6 du code du travail dispose que ce sont les décrets en Conseil d’Etat qui déterminent :
« 1° Les modalités de l’évaluation des risques et de la mise en œuvre des actions de prévention pour la santé et la sécurité des travailleurs prévues aux articles L. 4121-3 à L. 4121-5 ;
2° Les mesures générales de santé et de sécurité ;
3° Les prescriptions particulières relatives soit à certaines professions, soit à certains modes de travail, soit à certains risques ;
4° Les conditions d’information des travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité et les mesures prises pour y remédier ;
5° Les conditions dans lesquelles les formations à la sécurité sont organisées et dispensées. »
Jusqu’à présent, aucun décret en Conseil d’Etat n’a imposé la pratique du télétravail au titre de la prévention des risques d’exposition à la covid-19.
Sur un plan strictement juridique, il semble donc difficile pour les services de l’inspection du travail de sanctionner de facto un employeur qui n’imposerait pas à ses salariés de télétravailler.
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L’incitation à mettre en place trois à quatre jours de télétravail par semaine n’est directement assortie d’aucune sanction
Dans une conception impérative et répressive du droit, on rattache l’effectivité d’une norme juridique au fait que celle-ci soit respectée ou sanctionnée en cas de violation. La sanction est présentée par certains auteurs comme le moyen le plus sûr d’assurer le respect de la règle consacrée. Pour le Professeur Gérard Cornu, elle est « le moyen destiné[e] à assurer le respect et l’exécution effective d’un droit ou d’une obligation ».
Cette problématique renvoie à la question de la nature et au caractère de l’obligation de télétravailler. Est-ce une obligation inconditionnelle, impérative et opposable à l’employeur ? Est-ce une obligation substantielle qui autorise le salarié à l’invoquer devant les tribunaux pour se voir bénéficier des effets, et/ou de la sanction attachée à la violation de cette obligation ?
Si l’on conditionne l’existence d’une obligation par l’existence d’une sanction attachée, alors pour l’heure, aucune obligation de mettre en place le télétravail n’est visée par l’amendement du 31 décembre 2021 qui ne fait qu’instituer une amende administrative en cas de non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention. Mieux encore : l’amendement ne consacre spécifiquement aucune sanction pour absence de mise en place du télétravail dans les entreprises.
En effet l’amendement du 31 décembre 2021 (largement interprété par la presse comme la consécration d’une sanction à l’absence de mise en place du travail à distance) ne comporte en réalité aucune référence au mot « télétravail » que cela soit dans l’article en lui-même ou dans l’exposé sommaire. Loin de viser une obligation de télétravailler, l’amendement précité ne vise en réalité que la possibilité pour l’Inspection du travail de prononcer une sanction en cas de non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention.
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Conclusions
Pour l’heure il n’existe donc aucune obligation pour l’employeur d’imposer le télétravail dans son organisation de travail.
La faculté de mettre en place cette modalité d’emploi pour répondre au contexte pandémique de la COVID-19 doit en revanche être mise en perspective avec l’obligation plus générale de prévention des risques en matière de santé et de sécurité au travail. Dans ce contexte, il appartient à l’employeur et à lui seul :
- D’évaluer la pertinence de la politique de prévention des risques à l’exposition de la COVID-19
- D’évaluer la pertinence et la possibilité de mettre en place du télétravail au titre de la politique de prévention des risques à l’exposition de la COVID-19
De manière habituelle, si les efforts de prévention sont jugés insuffisants à l’occasion d’un contrôle par les services de l’inspection du travail, un dialogue entre les services de l’administration du travail et l’employeur s’installera pour trouver une solution adaptée à la situation. Ce n’est qu’en cas d’un manquement avéré de l’employeur aux principes généraux de prévention, et à l’absence de prise en compte d’une mise en demeure de faire cesser une situation dangereuse que l’autorité de contrôle sera éventuellement amenée à prononcer une amende à l’encontre du dirigeant récalcitrant.
L’emballement médiatique qui entoure la publicité relative au caractère obligatoire du télétravail témoigne de la méconnaissance profonde par les non spécialistes des principes généraux du droit du travail. Le télétravail peut être un outil au service de la performance économique d’une entreprise, de son agilité, et pourquoi pas de sa politique de prévention des risques en matière de santé-sécurité au travail. Le télétravail peut aussi à l’inverse être générateur de risques puisqu’il est de nature à isoler, à désocialiser ou à augmenter le risque d’exposition au burn-out.
En cette période de crise sanitaire, le cabinet LEGATIC reste à votre disposition :
- pour auditer la pertinence et les possibilités de mettre en place du travail à distance dans votre organisation de travail ;
- pour maitriser les risques associés à la pratique du télétravail ;
- pour vous assurer d’une expertise complète des différents aspects techniques et organisationnels de cette modalité d’emploi (prévention des risques professionnels ; psychologie du travail ; management et communication à distance ; etc.) ;
- pour vous assister à l’occasion d’un contrôle par les services de l’inspection du travail.
Pour plus d’informations vous pouvez consulter notre page dédiée au télétravail.